Prochaine session Chimie des émaux en visioconférences àpd 23 avril

Quand une fiche de sécurité comporte des erreurs

Les fournisseurs sont tenus de fournir les fiches de données de sécurité (= “FDS”), mais pas les fiches techniques (qui sont des secrets de fabrication lorsqu’il s’agit d’émaux prêts à l’emploi et sont donc systématiquement très vagues). Ces FDS comptent en général 12 ou 13 pages, car leur forme est définie par la réglementation, mais ne tiennent pas compte de tous les scénarios d’utilisation possibles. En effet, une fiche de données de sécurité (FDS) se limite aux risques encourus lors d’expositions à la substance telle qu’elle est commercialisée – donc en poudre, sans tenir compte d’une possible transformation ultérieure, par exemple dans un four céramique. 

Non classé = pas dangereux ??

C’est ainsi que nous pouvons être confrontés à des matières premières “NON CLASSEES” mais que la combustion va rendre pourtant éminemment dangereuses au niveau des FUMEES produites. 

En exemple voici la fiche de sécurité d’un émail “pourpre nacré”. Nous allons nous limiter à quelques extraits et voir que ce produit est vraiment dangereux lors de la combustion, et qu’en plus il contient une erreur au niveau des “mentions de danger”. 

Analyse d’un émail vendu en poudre EKM0631

La 1e section mentionne le nom de cet émail “pourpre nacré” et les coordonnées du revendeur. Passons immédiatement à la section “identification des dangers”.

Identification des dangers dans une fiche de sécurité
Identification des dangers dans une fiche de sécurité

On voit ici un seul pictogramme de danger : le “poumon éclaté”, qui est accompagné d’une série de mentions “H”. Ce picto provient d’études réalisées sur des animaux de laboratoire et/ou d’études épidémiologiques sur des populations humaines. Il indique que la dangerosité relève d’une exposition chronique, donc répétée. Les études sont continues, et donc les mentions de danger évoluent : des substances qu’on pensait relativement anodines par le passé sont actuellement présumées voire confirmées d’être cancérogènes.

A retenir : c’est la combinaison DOSE et FREQUENCE d’exposition qui produit des effets. Les mentions “H” sont définies par la réglementation : les lire nous informe sur la nature des risques. 

Malheureusement il faut être à la fois chimiste et “Sherlock Holmes” dans certains cas. Ici la mention “H362: nocif pour les bébés nourris au lait maternel” a intrigué le chimiste avec qui je travaille (mon mari), voir plus bas.  

Les synonymes qu’on ne connaît pas toujours

Mentions P dans une fiche de sécurité
Mentions P dans une fiche de sécurité

Plus bas sur la fiche, on peut lire que le produit contient de “l’hexafluoroaluminate”.   Nous connaissons cette matière première plus souvent sous le nom de CRYOLITHE. Les personnes qui ont suivi mon cours de techno (ou la formation “matières premières” en vidéos) savent que c’est une des MP que je déconseille absolument si on n’a pas un four installé à l’extérieur, en raison de la présence de Fluor, qui va inévitablement dégager du gaz fluorhydrique lors de la combustion. 

Le gaz fluorhydrique attaque les dents et les os à travers la chair. C’est aussi le seul acide capable d’attaquer le verre, c’est donc lui qui provoque cet espèce de “voile bleuté” sur les vitres des ateliers mal ventilés. On ne peut pas éliminer la totalité du fluor, car il est présent en quantité infimes dans certaines pâtes céramiques et matières premières. Mais il faut veiller à ne pas en mettre en quantité plus importante dans un four céramique, surtout si le local n’est pas correctement ventilé – ou – pire – si on travaille à proximité du four. En cas d’installation extérieure (ou de cheminée de plusieurs mètres de haut), c’est envisageable – mais ailleurs c’est à proscrire.  

L’erreur est… humaine !

Composants indiqués dans une fiche de sécurité
Composants indiqués dans une fiche de sécurité

Dans la section 3 de la FDS, on retrouve les numéros d’enregistrement “CAS”, grâce auxquels on peut facilement se procurer plus d’informations sur internet (voir la formation “sécurité”).  

Notons que H362 déjà cité précédemment réapparaît ici – or, après vérification sur le site de l’ECHA, le risque H362 n’est PAS associé à cette substance. Il y a donc ici mention d’un risque inexistant. Ceci est très étrange : ils ont peut-être confondu avec la phrase H372 qui est mentionnée et appropriée. Cela témoigne du fait que malgré les obligations réglementaires, les FDS ne sont pas toujours exactes. Le risque d’erreur existe, potentiellement dans un sens comme dans l’autre. 

Manipulation et stockage dans une fiche de sécurité
Manipulation et stockage dans une fiche de sécurité

Au passage, et sans surprise, il est noté de ne pas boire-manger-fumer – ah non : c’est FORMELLEMENT INTERDIT. On est un cran au-dessus quand même. 

Et un peu plus bas les E.P.I. ou Equipements Individuels de Protection – sont clairement détaillés.

Equipements Individuels de Protection : masque FFP2, lunettes de protection
Equipements Individuels de Protection : masque FFP2, lunettes de protection

Elimination des restes d’émaux : quid de l’environnement ?

Autres informations sur une fiche de sécurité
Autres informations sur une fiche de sécurité

Ensuite vient la question de l’élimination des déchets : il ne s’agit pas de rincer les seaux, tamis, brosses, pistolet, cabine d’émaillage… et de tout envoyer dans les égouts eu égard à la toxicité pour les organismes aquatiques. 

Les industriels doivent payer pour que leurs déchets soient éliminés correctement – et que signifie “éliminer” ? Rendre inerte : cela a un coût. Alors autant rendre inertes nous-mêmes nos déchets (on appelle cela “céramiser”). Une autre solution est de ne pas produire ces déchets : comment faire ? en choisissant avec discernement ce que nous faisons entrer dans nos ateliers.  

Dangereux ou pas ?

Complétons ensemble ce qui ne figure PAS sur la fiche de données de sécurité : lors de la cuisson de l’émail étudié, un des gaz qui sortira de votre four sera le fluorure d’hydrogène, dont voici les informations de danger.  

L'ajout de ces mentions éclaire sur les dangers du fluorure d'hydrogène, qui est dégagé lors de toute combustion de Fluor.
fluorure d’hydrogène dangers : ceci NE FIGURE PAS sur la fiche de données de sécurité étudiée (et c’est normal : la FDS ne prévoit pas tous les scénarios d’utilisation)

Quelques matières premières à proscrire

Je quitte la lecture de cette fiche de sécurité pour signaler que d’autres matières premières contiennent du fluor et sont donc à proscrire, d’autant plus si votre four n’est pas installé à l’extérieur. En voici quelques-unes, couramment vendues car utilisées dans l’industrie céramique (tout comme du reste l’arsenic et d’autres substances):

  • lépidolite
  • spath fluor
  • cryolithe

et je n’en connais pas tous les synonymes. Malheureusement, comme on l’a vu, elles sont difficiles à repérer lorsqu’on achète des émaux prêts à l’emploi. Et le problème est que les “cheminées” de four sont de simples évents, qui n’ont jamais la hauteur des cheminées industrielles afin d’envoyer tous ces gaz dangereux haut dans l’atmosphère.

Apprendre à connaître vos matières premières vaut vraiment la peine, car cela permet des choix plus conscients et éclairés.  Mes élèves/stagiaires savent que je milite pour une simplicité volontaire dans nos ateliers, plutôt qu’une démarche de consommateur “qui veut tout essayer”, la plupart du temps en totale méconnaissance des risques pour sa propre santé, pour l’environnement, et parfois pour la santé des utilisateurs de vaisselle qu’il produit. 

En témoignage, je n’ai jamais utilisé ni cryolithe, ni spath fluor, ni lépidolite dans l’atelier vitré et très bien aéré dans lequel j’ai travaillé durant 13 ans en Belgique, avant de déménager – et les vitres étaient malgré tout partiellement rongées par ce gaz. En effet, le fluor se trouve à l’état de traces dans un certain nombre de matières premières, simplement parce qu’il se trouve dans le sol. Le gaz fluorhydrique n’est du reste pas la seule fumée dangereuse, et les combinaisons de ces fumées forment des cocktails qu’il est impossible d’étudier.

Les dangers liés à la combustion ne sont jamais mentionnés

Bis repetita – mais c’est important : les fiches de sécurité, tout comme les mentions obligatoires sur les étiquettes des matières premières, ne concernent PAS LES DANGERS LIES A LA COMBUSTION.

Donc dans tous les cas, veillez à ne pas vous exposer, et à une bonne aération du local où se trouve le four.

_________

Qui suis-je ? Joëlle Swanet, Professeure de Technologie céramique.
“Expliquer des phénomènes complexes dans un langage accessible à tous” 

Copyright : le contenu de ce blog est accessible librement, toutefois il n’est pas autorisé de le reproduire ou l’utiliser sans autorisation écrite et en mentionnant le nom de l’auteur. 

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