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Amphores et contact alimentaire : ajouter de l’eau dans son vin ?

Je vais me risquer à émettre une hypothèse qui intéressera peut-être les archéologues et historiens de l’art(*). Le rituel du mélange d’eau et de vin était une habitude banale à l’époque des grecs et des romains, la diversité des récipients destinés à cet usage en témoigne (lire ici). Or le vin était transporté et conservé dans des amphores. 

Avant consommation, le vin était mélangé à de l’eau dans un large récipient appelé “cratère”. On le puisait ensuite pour le verser dans des récipients à boire : j’en ai photographié quelques uns aux Musées Royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles. Ils ont une caractéristique commune, à savoir ne pas pouvoir être posés, il fallait les tenir en main (ou les vider !) une fois remplis. Observez l’élégance des formes, la particularité des anses. Le premier se termine en forme de pointe, les deux suivants ont un fond arrondi (ils sont posés sur un anneau pour la présentation dans la vitrine), les deux derniers ont une forme de corne. 

Récipients à boire durant l’Antiquité

Mastos : récipient à boire se terminant en pointe
Skiphos : récipients à boire à fond arrondi (ici posés sur un anneau)
Rhytons : récipients à boire en forme de corne

Dans de nombreux musées antiques on peut trouver cette variété de récipients destinés au mélange d’eau et de vin et à la dégustation. Et pourrait-on relier le rituel de l’eau ajoutée au vin lors de la messe chrétienne à cette pratique ancienne ?  

En cherchant sur le net j’ai trouvé que le vin était à l’époque lourd et épais, et qu’ajouter de l’eau avait pour effet de diminuer le taux d’alcool.

Si je fais un parallèle avec les pratiques contemporaines, le vin est conservé aujourd’hui dans des cuves en inox. Ensuite nous sommes habitués à l’acheter en bouteilles ou en cubis étanches. Mais à l’époque, ce n’est pas de l’inox ni des bouteilles en verre qu’on utilisait pour le transport. 

Des amphores pour le transport

Collection d'amphores antiques
Amphores antiques photographiées au Musée de Nabeul, Tunisie

La documentation témoigne que ces hautes jarres servaient au transport de l’huile d’olive et du vin.  

Dans nos régions du monde autour de l’an zéro, la cuisson de céramique se faisait exclusivement à basse température et les amphores n’étaient pas émaillées, résultat : elles étaient poreuses. Cette porosité peut être un avantage : elle permet par exemple de conserver des céréales sans qu’elles moisissent. Elle permet également de conserver l’eau fraîche : la transformation d’un liquide en vapeur consomme de l’énergie sous forme de calories, et cette énergie est “pompée” dans le liquide, le maintenant frais. 

Revenons à nos amphores : elles étaient scellées par un bouchon, afin d’empêcher la réoxydation du vin, donc le contact avec l’oxygène. Le bouchon était rendu étanche à l’aide de résine. 

Les grecs ont utilisé de la résine de pin pour étanchéifier les bouchons, et il est probable que le vin résiné grec trouverait son origine dans l’étanchéification de la surface interne des amphores (https://fr.wikipedia.org/wiki/Retsina). L’absence d’évaporation permet de garder un vin léger, par contre la résine confère un goût au vin – tout comme peut le faire un baril de chêne.

Dans une amphore poreuse : la part d’eau dans le vin s’évapore

Sans recours à un medium d’étanchéification, conserver du vin dans une amphore poreuse sous un climat chaud devrait logiquement avoir comme conséquence une évaporation de la part d’eau contenue dans le vin. Les textes parlent de “vin épais” – du vin “concentré”? – que j’imagine imbuvable tel quel. Les procédés actuels de concentration des jus recourent d’ailleurs toujours soit à l’évaporation, soit à l’osmose inverse, un procédé de filtration. Or les premières tentatives de filtration ont été faites avec de la céramique : ces filtres sont tellement fins qu’ils ne laissent passer que l’eau et tout le reste se concentre.

Mon hypothèse est que l’ajout d’eau au vin vise à compenser l’évaporation, mais j’ai beau chercher, je n’en trouve pas mention dans la littérature. Tout ce que j’ai trouvé, c’est une étude comparative des proportions d’eau à ajouter, dans une publication datant de 1988 : https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1988_num_90_1_4317, L’article parle de « l’épaisseur » du vin, sans expliquer l’origine de cet épaississement. Or l’évaporation est un phénomène simple, qui expliquerait la nécessité de dilution avant consommation. De la même façon, l’ajout d’un peu d’eau – sans précision de quantité – dans des amphores ayant contenu du vin lourd et épais, donc aux pores saturés, pourrait redonner un vin – léger sans doute, mais pas de l’eau.  Il existe tant d’exégèses alors je ne sais ce que vaut mon explication très… terre à terre, mais qui me semble plausible.

Et vous, que pensez-vous de mon hypothèse de la porosité des amphores expliquant la concentration du vin et donc la nécessité de le couper avec de l’eau ?

(*) J’ai écrit cet article suite à une conversation avec Madame Natacha Massar, conservatrice des Antiquités grecques aux MRAH à Bruxelles, qui a manifesté son intérêt pour cette idée.  

Réactions de lecteurs

Didier Descamps (www.didierdescamps.fr) m’a répondu : “dans les matériaux poreux, l’évaporation de l’alcool est “prioritaire” à celle de l’eau. Normal avec la tension de vapeur et la température d’ébullition plus basse. Le vin de nos ancêtres devait donc être après évaporation plus “épais” en matières non volatile, mais aussi moins concentré en alcool. Sûrement moins bon aussi”. L’indication que j’avais trouvée sur le net disant “qu’ajouter de l’eau avait pour effet de diminuer le taux d’alcool” est donc à prendre avec des pincettes. 

Gregory Bogaert (www.cookandroll.eu) quant à lui a fait une dégustation de vins italiens élevés en amphores. Il m’écrit : “Les vins restent plus “sur le fruit” et acquièrent une belle rondeur, moins d’acidité. C’était impressionnant de goûter un même cépage, du même domaine et millésime élevé en inox vs amphore : celui en amphore était bien plus fruité et avec une acidité complètement effacée”. 

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Qui suis-je ? Joëlle Swanet, Professeure de Technologie céramique.

“Expliquer des phénomènes complexes dans un langage accessible à tous”

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