Nos matières premières “ne sont pas innocentes comme de la farine et du sucre”. Alors comment les choisir ?
Je suis souvent surprise par des commentaires de mes stagiaires me disant “si c’est en vente libre, c’est qu’il n’y a pas de danger”. Mais cette affirmation est fausse : c’est à nous de connaître ce que nous achetons et manipulons – le fournisseur quant à lui vend ce qu’on lui demande – c’est un commerçant et non pas un professeur de technologie.
Nos fournisseurs sont des commerçants : ils ne doivent pas être formés en chimie

Aujourd’hui le panel de matières premières que nous pouvons nous procurer dans nos pays occidentaux est très large. La quasi totalité de ces poudres sont dangereuses par inhalation à cause de la granulométrie très fine qui est nécessaire pour qu’elles fondent correctement. J’ai parlé de la silice dans l’article précédent, mais certaines de ces matières premières sont franchement toxiques, que ce soit par inhalation, au toucher ou par ingestion – voire mortelles si on dépasse certains seuils. J’ai eu la chance d’être avertie dès mes débuts en céramique grâce à mon mari ingénieur chimiste, qui travaillait dans l’industrie, et était quant à lui TRES surpris qu’on puisse acheter librement du baryum, du plomb, du chrome, du vanadium ou du cobalt et que nous manipulions ces produits sans gants ni masque (y compris les femmes enceintes). En effet dans l’industrie, ces matières premières doivent être conservées sous clé et ne sont accessibles qu’à un personnel formé ET portant les protections adéquates; ce personnel est soumis à des check-up de santé réguliers. Et dans nos ateliers privés ou dans les écoles d’art la situation est bien différente : je connais la situation de la Belgique, où les professeurs sont soumis à un examen médical régulier, mais les élèves ne sont souvent ni informés des risques, ni suivis par un médecin du travail.
L’omerta : un héritage du passé
C’est aussi malheureusement un héritage du passé : quand on ne connaissait pas la toxicité, on s’empoisonnait sans le savoir. Certains ont malgré tout réussi à vivre vieux, car les seuils de tolérance individuels peuvent être très variables, mais pour d’autres, l’accumulation de toxiques s’est avérée fatale, souvent après plusieurs années d’exposition : c’est le danger, car cette accumulation est insidieuse. Les mesures de toxicité sont en outre effectuées sur des animaux puis rapportées au poids d’un homme de 70 kilos. En plus les femmes sont souvent plus sensibles que les hommes, pour des raisons un peu longues à expliquer dans ce blog. En résumé : dommage de faire attention à ce qu’on mange – voire manger bio – et simultanément ne pas se protéger dans un atelier céramique.
Ingrédients de base suggérés, pour limiter la dangerosité de vos matières premières

Ma suggestion lorsqu’on débute la céramique et qu’on veut apprendre à composer ses glaçures/émaux/couvertes soi-même à haute température (donc au-dessus de 1200°C), c’est de se limiter à ce qui ne présente pas de toxicité hormis le risque à l’inhalation : je suggère de commencer avec les 10 ingrédients de base suivants : feldspath potassique, feldspath sodique, néphéline syénite, talc, craie, dolomie, oxyde de zinc, kaolin et silice et une fritte boro-calcique.
A ces 10 ingrédients vous ajouterez 3 opacifiants : le titane, l’étain et le zircon (je l’achète sous forme de silicate de zirconium).
Pour les colorants, il faut savoir que seuls le fer et le rutile (qui est une combinaison de fer et de titane) sont sans danger – tous les autres sont à manipuler en connaissance de cause.
La plaque d’essais ci-contre a été réalisée avec uniquement les 5 ingrédients suivants : néphéline syénite, talc, craie, kaolin et silice.
Lorsque vous aurez bien compris comment ces matières premières interagissent entre elles, vous élargirez petit à petit votre stock de matières premières à d’autres, en vous renseignant sur leur composition (fiche technique) et leur dangerosité éventuelle (fiche de sécurité). Je ne dis pas qu’il faut d’office éliminer les matières premières plus sensibles : on peut souvent grâce à elles élargir formidablement notre palette – mais apprendre à les utiliser en connaissance de cause. Des sites tels que @smartconseil sont une bonne référence et il y en a quantité d’autres, les meilleurs sont souvent en anglais.
J’ai décidé de rédiger ce blog car les petits ateliers de céramique se sont multipliés ces dernières années et le confinement a accéléré cette tendance. Il faut cependant un minimum de formation pour pouvoir créer des revêtements céramiques de qualité, surtout si on crée des pièces à usage alimentaire, donc
- qui soient inertes, donc ne relâchent pas des composés dangereux au contact de la nourriture
- sans petit à petit s’empoisonner soi-même
- sans impacter l’environnement. Ainsi par exemple j’ai observé que dans certains (ou plutôt dans de nombreux) ateliers on rince les seaux/tamis/restes d’émaux/matériel d’émaillage à l’évier, sans bac de décantation, alors qu’il s’agit de déchets industriels et non pas de déchets ménagers. Ce geste vient d’une méconnaissance : il est important de s’informer quand on manipule nos matières premières.